‘Une défaite du MSM vis-à-vis du PTr au No 7 entrainera une déroute certaine’
|Interview : Jocelyn Chan Low, Historien
« Une alliance entre le MSM et le PTr relève pour l’instant du domaine de l’impossible »
‘Le MMM peut-il présenter quelqu’un d’autre que Paul Bérenger au poste de Premier ministre dans une lutte à trois ?’
Le doute persiste à propos d’une élection partielle à tenir dans la circonscription No 7 cette année, et ce, avant les élections générales. Les expériences vécues par les partis dans cette circonscription, les résultats obtenus aux différentes élections et le profil du candidat font partie des facteurs qui influenceront la prise de décision du Gouvernement. De plus, il s’agit de considérer l’humeur des citoyens, avec un indicateur de marque : la capacité de mobilisation des partis le 1er Mai et l’annonce éventuelle des alliances ou non… Jocelyn Chan Low répond à nos questions.
Mauritius Times: Il semble que nous sommes entrés dans une période d’attentisme. On ne voit rien en termes de mobilisation – ni du MMM ou du PTr ou même du MSM pour les rassemblements du 1er mai alors que 2019 constitue une année cruciale pour les partis politiques avec l’imminence des élections générales. Est-ce dû au désintéressement de l’électorat ou est-ce en raison de l’incertitude qui plane sur la tenue d’une partielle au No. 7 ?
Jocelyn Chan Low: Cette ‘absence’ de mobilisation est peut-être d’ordre tactique et stratégique. On sait très bien qu’avant d’être une démonstration de la popularité de tel ou tel parti politique ou alliance, la bataille des foules n’est en fait qu’un ‘contest of money politics’, c’est-à-dire de moyens financiers – affiches, banderoles, autobus, briani sur la plage, transport de travailleurs étrangers sans compter d’autres incitations pécuniaires…
Or, sur ce plan-là, l’alliance au pouvoir dispose de solides atouts alors que les fonds du Ptr sont gelés et que Bérenger, peut-être tactiquement pour bien enfoncer le clou sur le sujet, avait annoncé que le MMM songeait à faire l’impasse sur la manifestation du 1er Mai parce que le parti est à court de fonds avant de se raviser mais en précisant que le parti ne mettrait pas des autobus à la disposition de ses partisans.
En ramenant cette manifestation à sa juste dimension, c’est aussi éviter de faire monter les enjeux et tomber ainsi dans le piège d’une joute factice où les dés sont pipés dès le départ.
Cependant, on va sans doute assister à une certaine surenchère dans les prochains jours qui, en outre, vont coïncider avec la fin du carême chrétien. Et les autorités ont fait un énorme cadeau au PTr avec l’arrestation de Patrick Assirvaden et Cader Sayed-Hossen. Ce qui ne manquera pas de gonfler à bloc les partisans rouges.
* Si la flamme politique des partisans, celle qu’on a connue autrefois, n’y est pas, ce qui expliquerait en même temps le taux élevé de l’abstention lors des consultations politiques et qui affecte certains partis plus que d’autres, comment alors gagner les élections en 2019/2020 ? Le MMM, le PTr et les autres ont chacun leur recette propre…
La recette en elle-même est simple mais très difficile à mettre en pratique: Il y a définitivement une grande inadéquation entre la demande politique des électeurs et l’offre politique proposée par les partis traditionnels mainstream, d’où l’urgente nécessité de ces partis de remédier à la situation à travers un grand chamboulement de leurs discours, leurs pratiques, leurs structures et leur personnel politiques.
Or, cela n’est guère aisé car un parti politique, c’est aussi un agglomérat d’intérêts personnels et autres. Ensuite la direction des partis est souvent verrouillée par les suiveurs des leaders, d’où l’inertie ou des changements en surface, factice.
Il est vrai que, suite au départ des transfuges et autres dissidents, le MMM s’est rajeuni et s’est féminisé davantage. Des personnalités notamment du monde artistique, académique ou sportif ont rejoint ou compte rejoindre le Parti. Définitivement il y a une nouvelle génération de cadres au MMM. Et le Policy Unit mené par Sheila Bunwaree espère vraiment être à l’écoute de la société civile avant de formuler le programme électoral du Parti. Du côté du PTr, le Dr Navin Ramgoolam a annoncé le changement et le renouveau.
Il reste, cependant, un credibility gap et une déconnexion certaine entre l’électorat et les leaders des divers partis. D’autre part, il y a la désillusion de l’électorat par rapport aux alliances et mésalliances politiques qui renvoient à une perception de politiciens prêts à tout pour arriver au pouvoir, négligeant par là même les intérêts de l’électorat.
Mais l’histoire politique nous révèle que la victoire aux élections passe par le jeu des alliances. Or, une grande partie de l’électorat n’en veut plus de ces alliances. En outre, le jeu des alliances a perdu de sa fluidité, une alliance entre le MSM et le PTr étant du domaine de l’impossible, tout au moins pour l’instant.
Donc la situation est assez inédite, d’où une vraie incertitude quant à l’avenir politique du pays.
* Si c’est évident que le MSM a besoin d’une bonne alliance pour espérer se maintenir au pouvoir, il semblerait que le MMM ne soit pas vraiment convaincu dans sa capacité de remporter tout seul les prochaines législatives par la seule force de son électorat – malgré les dires et probablement le souhait de Paul Bérenger. Qu’en pensez-vous ?
Le MSM va jouer son va-tout aux prochaines élections générales car il est question de survie face à un PTr revanchard. Le gouvernement va sans doute annoncer des mesures très populistes pour booster le feel-good factor artificiellement. Il ne faudrait pas sous-estimer le poids de ces mesures électoralistes à venir. En revanche, la force du MSM reste une inconnue.
Et tout gouvernement doit faire face à une certaine perdition de son électorat, notamment en raison de promesses non tenues.
Et le Muvman Liberater ne peut définitivement pas prétendre représenter grand-chose électoralement, d’où les rumeurs d’alliance avec le MMM. Mais selon quelle formule ? Au MSM certains veulent que Bérenger prenne sa retraite du MMM et aille au Réduit. Mais cela affaiblirait considérablement le MMM électoralement et risque de revigorer le PMSD qui se rapproche de plus en plus du PTr comme l’indique le ‘Mille fois Baichoo’ de Xavier Luc Duval lors de la dernière session du parlement.
Quant au MMM, il se trouve devant un dilemme. A la différence de 1983, 1987 ou 2010 voire de 2014, le spectre d’une alliance bleu-blanc-rouge semble définitivement écarté. Les conditions sont là pour tenter d’aller seul aux élections parce que, dans une lutte à trois, la victoire n’est pas seulement d’obtenir une majorité absolue mais aussi d’élire un nombre suffisant de députés pour se mettre en position de kingmaker au cas où aucun parti ne remporte plus de 50% des sièges. Dans ce cas le parti serait dans une meilleure position pour négocier toute alliance. Évidemment, le pari est risqué mais ce n’est pas le courage qui manque au MMM.
* De toute évidence, le leader du MMM a choisi de garder la porte ouverte à un éventuel arrangement électoral avec le MSM. Sinon comment expliquer la décision du MMM de s’abstenir d’une éventuelle partielle au No. 7, et la toute dernière position adoptée par Paul Bérenger par rapport à toute nouvelle re-délimitation des circonscriptions, ce qui – selon lui – devrait intervenir après les prochaines élections générales, donc applicable en 2024 ?
En ce qui concerne une partielle au No 7, il est évident que ‘the odds are definitely against the MMM’ dans cette circonscription où elle avait récolté son plus mauvais score aux élections générales de 1983. D’ailleurs, la raison avancée par le parti pour sa non-participation est plausible. Une élection partielle – à si peu de temps des élections générales – n’a pas sa raison d’être. Ce serait un gaspillage de l’argent des contribuables qui aurait pu être utilisé, par exemple, pour revoir le système de drains dans certaines localités de la circonscription.
Ensuite, si élection partielle il y a – et j’en doute fort que tel sera le cas -, l’opposition dans son ensemble aura tout à gagner tactiquement de ne pas disperser ses forces en un affrontement futile qui ne pourra que profiter au régime actuel.
Quant à l’application de la nouvelle re-délimitation des circonscriptions, après les prochaines élections générales, cela relève du bons sens. A quelques mois des élections générales, ce serait ajouter une grande dose de confusion dans le système que d’appliquer un redécoupage des circonscriptions.
* Au fait, la position du MMM par rapport à la délimitation des circonscriptions parait assez ambigüe; c’est comme si le MMM serait en train de s’aligner sur la position du PMSD qui a fait d’une nouvelle délimitation des circonscriptions son cheval de bataille depuis un certain temps. Le MMM cherche-t-il à « compete » avec le PMSD sur le même terrain politique ?
Tout d’abord, le PMSD a totalement raison de souligner que la délimitation actuelle des circonscriptions est injuste, illogique et contraire à l’esprit même de la constitution. Par calcul partisan et par lâcheté, on a laissé pourrir la situation pendant trop longtemps. Et le leader du PMSD a parfaitement raison d’explorer la possibilité de contester tout cela en cour.
Le PMSD a une histoire de combat juridique sur des cas constitutionnels qui fait honneur au parti. On se souvient comment Gaëtan Duval avait gagné en cour suprême son procès contestant la validité même du Conseil législatif élu en 1959 et en 1963 parce que Rodrigues n’avait pas été représentée – à défaut d’avoir été incluse dans une circonscription – bien que les Rodriguais avaient obtenu le droit de vote.
Et les autorités britanniques avaient été contraints d’avoir recours à un order in council avec effet rétroactif pour valider les décisions prises jusque-là par le Conseil. J’espère qu’on n’arrivera pas à une telle extrémité.
Le MMM – qui dit militer pour la justice sociale, la démocratie et l’unité nationale – ne peut pas rester insensible à ce combat, bien qu’évidemment, il y a un enjeu électoral.
On se souvient que le Père Grégoire, dans le passé, avec chiffres à l’appui, avait déjà souligné l’injustice dont est victime la Population générale dans le découpage des circonscriptions.
* Le PMSD a-t-il toujours un potentiel électoral susceptible de nuire aux ambitions du MMM dans certaines circonscriptions pour que Paul Bérenger se mette de la partie sur la question de re-délimitation des circonscriptions ?
Historiquement, le PMSD a toujours été perçu comme le parti des minorités et de la Population générale, en particulier. Quant au MMM, il avait pris naissance comme un parti résolument national, avec un ancrage considérable dans les régions rurales. Mais les événements de 1983 ont provoqué une césure dans l’électorat du parti. Le MMM a perdu une grande partie de sa base rurale. Et depuis, il ne s’est jamais remis de cette fracture.
En outre, avec l’abandon de tout projet révolutionnaire en faveur d’une social démocratie très modérée, le MMM s’est rapproché idéologiquement, dans une certaine mesure du PMSD. D’ailleurs, sous Maurice Allet, le PMSD a été allié au MMM pendant longtemps. De ce fait, les deux partis chassent sur le même terrain.
* Par ailleurs, toute nouvelle ré-délimitation des circonscriptions risque de bousculer le rapport de forces au niveau de certaines circonscriptions, en particulier les No 2 et No 3 — là où la communauté musulmane est fortement représentée. Le leader du MMM, connu pour être toujours frileux sur tout ce qui touche aux questions ethniques, doit en être conscient, non ?
Bien sûr, et pas uniquement le leader du MMM.
Tout leader politique doit prendre cela en considération. Evidemment, le problème de la représentation à l’Assemblée nationale des Musulmans dispersés à travers le pays a toujours posé un énorme casse-tête dans l’élaboration d’un système électoral pour l’île Maurice pluriethnique. Mais la question est aujourd’hui encore plus complexe car il n’y a plus de recensement des communautés et les lignes entre les groupes ethniques ont fluctué depuis l’indépendance.
Le fait marquant du point de vue religieux dans l’ile Maurice indépendante, c’est la progression spectaculaire des églises évangéliques. Les problèmes sociaux, politiques et culturels, voire géopolitiques, que posent la très spectaculaire progression des New Christians dans le monde, tout particulièrement dans l’hémisphère sud, est un vaste sujet que les experts commencent à peine à creuser scientifiquement, et cela depuis la parution de l’ouvrage phare de Philip Jenkins ‘The Next Christendom: The Rise of Global Christianity’. New York: Oxford University Press) en 2002.
L’île Maurice pourrait être une étude de cas. D’environ 3000 au début des années 70, on en dénombre aujourd’hui plus de 60,000 fidèles, et ce nombre ne cesse d’augmenter. On sait que les Indo-Christians posaient déjà un énorme casse-tête pour les autorités coloniales. Où classer aujourd’hui ces milliers de nouveaux chrétiens dans la grille communale traditionnelle ? Comment les répercuter dans le redécoupage électoral ?
* Par ailleurs, il n’y a pas que le PMSD qui soit source de soucis pour le MMM, paraît-il. La presse a évoqué une guerre larvée qui opposerait Paul Bérenger à Madun Dulloo suivant un désaccord sur la décision du MMM de présenter Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre. C’est perdu d’avance, aurait déclaré Dulloo lors d’une réunion du comité régional No. 6 (Grand Baie/Poudre d’Or). Madun Dulloo a-t-il raison, selon vous ?
Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, les séquelles des événements de 1983 se font toujours sentir au MMM. Cependant, dans une lutte à trois, le parti peut-il présenter quelqu’un d’autre que Paul Bérenger au poste de Premier ministre ?
Le but n’étant pas si tant de conquérir un nouvel électorat que de ramener au bercail les anciens du parti, le MMM se doit d’utiliser à fond celui qui incarne la lutte historique des militants.
* Les « premiers ministrables » dans les grands partis – Arvin Boolell ou Anil Baichoo au PTr, Madun Dulloo, Ajay Guness au MMM présentement, tout comme Pradeep Jeeha et Steven Obeegadoo précédemment se heurteront toujours à une fin de non-recevoir, donc ?
Sont-ils réellement premiers ministrables ? That’s the question ! Dans la liste il y a peut-être un ou deux qui peuvent le prétendre mais d’autres, par contre, ont encore à faire leur preuves comme députés…
* La question reste toujours posée pour beaucoup d’observateurs politiques et les Mauriciens en général : la partielle au No 7 aura-t-elle lieu cette année-ci ? La nature est venue jouer au trouble-fête ces dernières semaines affectant particulièrement certaines circonscriptions rurales, et la réaction des habitants a été dure envers le Gouvernement…
En ce qu’il s’agit de la partielle au No 7, il faut d’abord se demander si elle va se matérialiser. Certes, le MSM a été boosté récemment par le verdict du Privy Council dans l’affaire MedPoint et par le jugement de la cour internationale de la Haye dans l’affaire des Chagos.
Néanmoins le no 7, quoiqu’on en dise, n’a jamais été un fief du MSM. On se souvient de la victoire de Rajesh Jeetah du Ptr à l’élection partielle de décembre 2003 face au candidat du MSM-MMM, Prakash Maunthrooa.
Ensuite, au vu de la piètre performance des députés de la défunte alliance lepep sur le terrain, il y a actuellement un vent de mécontentement qui souffle dans certaines localités de la circonscription. Il est vrai qu’une victoire à une partielle dans une région rurale pourrait augmenter les chances de l’alliance au pouvoir aux prochaines élections générales, mais une défaite vis-à-vis du Ptr entrainera une déroute certaine, en sus qu’entre-temps elle aura perdu le contrôle de l’appareil d’état, les rats abandonnant le navire avant le naufrage.
Par contre, le Gouvernement a tout à gagner en organisant les élections générales en décembre de cette année-ci. Passé cette date, c’est la saison des pluies torrentielles et les dégâts politiques potentiels que peuvent provoquer les inondations, l’obstruction du système de tout à l’égout, etc.
Et d’ailleurs la pression de la rue est en train de monter par rapport aux promesses d’amélioration des infrastructures publiques dans les diverses localités. Ensuite, si le Gouvernement veut surfer sur un feel-good factor artificiellement gonflé, décembre est le mois idéal : boni de fin d’année à la fois pour les salariés, les retraités et senior citizens, l’annonce du taux de la compensation salariale…
* Si c’est dans l’intérêt du MSM d’aller directement aux élections générales, faut-il qu’il puisse conclure une alliance «gagnante». Les mesures populistes ne vont pas suffire, n’est-ce pas ?
On ne peut pas prévoir aujourd’hui le comportement de l’électorat. Même les sondages sont trompeurs parce que
- le nombre d’indécis est très élevé,
- l’abstention demeure une inconnue, et
- le terme ‘indécis’ renferme une multitude de comportements et d’attitudes.
Et il faudra d’abord connaitre la nature de ces mesures populistes avant de se prononcer.
Il est vrai cependant qu’au vue de la faiblesse du ML, le MSM est condamné à chercher ailleurs pour convaincre l’électorat urbain.
* Paul Bérenger est connu pour être particulièrement exigeant dans les négociations d’alliances. A-t-il vraiment rien à perdre, cette fois-ci, si des négociations avec le MSM ne se concrétisent pas ?
La question fondamentale demeure celle-ci :
- Quelles sont les priorités du MMM aujourd’hui ?
- Est-ce la prise du pouvoir dans l’immédiat ou la reconstruction du parti qui passe par redonner de la crédibilité au projet qu’il incarne ?
- Est-ce que ces deux objectifs peuvent être atteints à travers une alliance pré-électorale ou à travers une lutte à trois avec, à la clé, la possibilité d’une alliance post-électorale où le parti pourrait se retrouver à négocier dans une position de force pour appliquer son programme ?
Dans le cas où aucun parti ou alliance ne remporte une majorité absolue à l’assemblée nationale, le MMM se retrouverait au point d’équilibre entre les divers partis. Par contre, le MSM ne pourrait prétendre à cela, en raison du fossé qui existe entre son leader et le Dr Navin Ramgoolam.
* Published in print edition on 19 April 2019
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