Une élection partielle aura-t-elle lieu ?
|Démission du député Hurdoyal
Par Aditya Narayan
Deux jours après sa révocation du poste de ministre de l’Agro-industrie et de la sécurité alimentaire, Vikram Hurdoyal a démissionné comme député de l’Assemblée nationale pour la circonscription no. 10 (Montagne Blanche/Grande Rivière Sud-Est). Son geste constitue un acte de dignité appréciable. Dans la politique de nos jours, très peu d’hommes ont le sens de l’amour-propre. Vikram Hurdoyal a montré qu’il est l’un de ces hommes bien qu’il soit tombé d’accord avec le Premier ministre pour ne rien dire en public de ses divergences avec le gouvernement.
En effet, la nouvelle de la révocation avait pris de court tout le monde dimanche dernier. Un ministre révoqué un dimanche alors qu’il est absent du pays, c’est un événement assez rare. La bienséance aurait voulu que le chef du gouvernement attende son retour au pays et l’informe de sa révocation en personne avant d’en aviser le président de la République. Mais les choses se sont passées autrement. Pourquoi ?
Dans sa première déclaration à la presse lundi, à son retour d’un voyage, l’ex-ministre avait exprimé son étonnement et sa tristesse face à son limogeage. Il ne s’y attendait pas manifestement car il ne savait pas ce qu’on lui reprochait exactement. Apparemment, ce qui aurait précipité sa révocation, ce serait l’intention qu’on lui prêtait de démissionner du gouvernement. Le Premier ministre l’aurait donc court-circuité en le privant de son poste de ministre avant qu’il n’étale en public des dissensions avec le gouvernement.
En effet, on ne connaît pas à ce jour la raison officielle de la révocation. L’ex-ministre s’est gardé de critiquer le leader du MSM, disant même qu’il entretenait de bonnes relations avec lui. Il a eu une rencontre avec le Premier ministre lundi dernier pour discuter de son avenir politique.
Toutefois, certaines informations faisaient croire qu’il n’était pas tenu en odeur de sainteté dans son parti. Il a été dans l’actualité récemment concernant les tractations menant à l’élection d’un nouveau président du conseil de district de Flacq. Son poulain, l’ancien président du conseil, avait été destitué à la suite d’une motion de certains conseillers de village.
Mécontent, l’ex-ministre aurait apparemment menacé de démissionner mais il devait rentrer dans les rangs après des négociations avec le leadership du MSM. Or, sa révocation subite indique que tout n’était pas au beau fixe pour lui.
Dans son histoire depuis 1983, le MSM a connu de nombreuses défections et démissions. Depuis son retour au pouvoir en 2015, le MSM a connu plusieurs démissions de ministres occupant des portefeuilles très importants.
- Avant les élections de 2019, il y a eu la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo comme ministre des Affaires étrangères, après sa mutation du ministère des Finances, et celle de Roshi Bhadain comme ministre de la Bonne gouvernance.
- En 2021, Nando Bodha, secrétaire général du MSM, a démissionné comme ministre du Tourisme après des désaccords avec son parti.
- Avant lui, Ivan Collendavelloo, leader du Muvman Liberater, un partenaire minoritaire du gouvernement, avait été révoqué à la suite d’une « lettre confidentielle » de la Banque africaine de développement qui aurait mentionné son nom dans une affaire de contrat attribué à une firme étrangère par le CEB. Cette affaire est depuis en suspens entre les mains de l’ICAC. On prédisait le retour d’Ivan au conseil des ministres après sa récente déposition devant l’ICAC, mais le remaniement ministériel suivant la démission de Hurdoyal a fait une impasse sur lui.
Toutes ces démissions et révocations au sein du gouvernement auraient pour cause le mode de leadership centralisateur du MSM qui ne tolère aucun débat contradictoire au sein de ses instances ni aucune divergence au conseil des ministres. Certes, un leadership centralisateur permet d’instaurer la discipline parmi les membres du parti et la cohérence dans la communication. Toutefois, il étouffe le débat d’idées et ne permet pas une réflexion alternative.
Après sa révocation, Vikram Hurdoyal avait trois options :
(a) Rester comme un député ordinaire (backbencher) de la majorité jusqu’aux prochaines élections ;
(b) Démissionner du MSM et siéger comme député indépendant ; et
(c) Démissionner de son siège de député.
Il a choisi la troisième option. Celle-ci impose nécessairement, en vertu de l’article 35 de la Constitution, une élection partielle dans la circonscription no. 10 dans un délai minimal de six mois.
Selon l’alinéa 35(3) de la Constitution, si un député démissionne de son siège, le « writ » pour tenir une élection partielle doit être émis dans les 90 jours (trois mois) suivant la démission, à moins que le Parlement ne soit dissout plus tôt. Si le gouvernement émet le « writ » dans 90 jours, soit le 13 mai 2024, il pourra tenir l’élection partielle dans un délai raisonnable de trois mois, soit le 13 août 2024. Au plus tard, l’élection partielle devra avoir lieu le 13 octobre 2024, soit dans un délai maximal de 240 jours.
Puisque le Parlement sera dissout automatiquement vers la fin de novembre 2024, on imagine mal le gouvernement tenir une élection partielle en prologue à des élections générales prévues pour fin 2024/début 2025. Le risque de perdre une élection partielle à quelques mois des élections générales est énorme pour legouvernement. Il se trouve que les partis d’opposition affûtent déjà leurs armes en vue d’y participer dans un contexte où la population est mécontente de la vie chère et d’autres problèmes.
Le gouvernement aurait pu faire l’économie de cette élection partielle en gardant le député démissionnaire dans ses rangs. Or, en se débarrassant d’un homme dit “populaire” dans l’Est du pays, il s’est tiré une balle dans le pied. Afin de ne pas laisser des plumes en cas d’élection partielle, dans une circonscription vitale dans les régions rurales, le gouvernement serait tenté d’appeler le pays aux urnes avant la date réglementaire de l’élection partielle.
En 2003, l’élection partielle pour le remplacement du siège de député de SAJ (qui fut nommé président de la République) dans la circonscription no. 7 vit la victoire de Rajesh Jeetah, candidat du Parti travailliste, contre celui du MSM. Le Parti travailliste devait surfer sur cet élan populaire pour gagner les élections générales de 2005.
Pour prévenir la répétition d’un tel scénario, le MSM va sans doute sauter l’étape de l’élection partielle dans la circonscription no.10 pour aller aux élections législatives anticipées, et ce, après avoir déposé un budget populiste en juin 2024. Legouvernement a déjà fait monter les enchères avec des mesures électoralistes. Ces élections générales auront donc probablement lieu avant le mois de novembre 2024.
Mauritius Times ePaper Friday 16 February 2024
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