« De quel complot, parle-t-on ? Il n’y a pas de complot »

Interview: Me Yusuf Mohamed — L’affaire Yerrigadoo/Husein Abdool Rahim

« Ni Nad Sivaramen ni Roshi Badhain ou qui que ce soit ne peut être accusé de complot »

Généralement, les révélations des journalistes ne sont pas du goût soit des gouvernements ou des forces obscures voulant régenter la vie publique. Il y a différentes manières de s’en prendre aux médias, allant de requêtes publiques polies de la part des politiciens aux lapsus irrévérencieux et à des arrestations arbitraires avec ou sans violence. Quels sont les enjeux associés à l’arrestation de trois journalistes à l’ile Maurice ? Me Yusuf Mohamed nous donne son avis. 

 

Mauritius Times: Me Mohamed, ce qui a débuté comme un exercice d’investigation journalistique suite à l’aveu d’un “whistleblower” et qui a fait tomber l’ex-Attorney General, Ravi Yerrigadoo, s’est retourné contre les journalistes eux-mêmes sur lesquels pèserait, à l’heure où nous parlons, la menace d’une inculpation sous la charge de complot. Voyez-vous dans toute cette affaire des éléments pouvant confirmer une charge de “conspiracy”?

Me Yusuf Mohamed: Je vais vous dire franchement : celui que vous avez décrit comme étant un “whistleblower”, à la fin « has blown his own whistle and exploded it ».

De quel complot, parle-t-on ? Il n’y a pas de complot parce que ce monsieur est venu voir mon fils Shakeel — avant même qu’il aille voir qui que ce soit –, sachant bien que mon fils est député, pour lui raconter tout ce qui s’est passé par rapport à l’affaire BET 365 et de blanchiment suspecté.

Shakeel m’en a parlé après que l’affidavit a été juré et la presse en a fait état. Il affirme que le premier affidavit contient exactement les mêmes détails dont ce monsieur lui avait fait part quand il était venu à sa rencontre. Subséquemment, il a voulu retenir les services de Shakeel en tant qu’avocat afin de raconter tout cela à la police et à l’ICAC.

Shakeel a refusé car le problème de conflit d’intérêts se poserait du fait qu’il est membre du comité parlementaire de l’ICAC. Mais ayant mentionné exactement les mêmes faits et détails dans son affidavit, tels qu’il les avait racontés à Shakeel avant même que l’affaire ne soit connue par la presse et le grand public, je ne vois pas comment Nad Sivaramen ou qui que ce soit l’aurait manipulé pour dire ce qu’il a raconté dans son affidavit. Tout cela vient de lui… les faits et les détails.

Donc, ce n’est pas possible que Nad Sivaramen ait suggéré quoi que ce soit, ni son avocat, Roshi Bhadain, non plus. Vous savez qu’il a rencontré Roshi Bhadain après le refus de Shakeel de le défendre comme avocat. Donc je peux vous affirmer que Roshi Bhadain ne peut pas être mis en cause ; il ne peut pas être poursuivi pour complot parce qu’il n’y a pas de complot.

Le complot, c’est dans la tête de ce monsieur. Qui lui a fait croire à cette histoire de complot… ? Je préfère ne pas en parler, même si j’ai certainement une opinion à ce propos. S’il s’est permis de dire qu’il a été manipulé par Roshi Bhadain et Nad Sivaramen – il a aussi parlé de Ashley Hurangee qui, rappelons-le, s’est désisté comme son avocat avec, je dois dire, élégance et selon les règles du code d’éthique, rien ne devrait nous surprendre, par exemple s’il accuse demain d’autres personnes de manipulation. Mais, la plus grande manipulation vient de ce monsieur lui-même. Il ne mérite pas d’être considéré comme un témoin crédible. Aucun magistrat ni juge ne pourra attacher quelque crédibilité à ce que raconte ce monsieur.

Maintenant, on apprend que ce monsieur Husein Abdool Rahim a une copine dont il a fait la connaissance dans une gym que fréquente aussi M. Sylvio Sundanum. Cette demoiselle, apprend-on, l’a dénoncé à la police pour une affaire d’argent et de sextorsion, ce qui remonterait à plusieurs mois. C’est maintenant qu’elle rapporte cette affaire après qu’ils ont été vus ensemble durant des mois et qu’elle ait véhiculé ce monsieur Husein Rahim jusqu’à tout récemment. Bon… ça c’est son affaire, mais on se demande si l’on n’est pas en train de visionner un de ces fameux TV Serials ou qu’on a affaire, là, à un autre complot.

Pour moi, ni Nad Sivaramen ni Roshi Badhain ou qui que ce soit ne peut être accusé de complot. Si jamais la police porte des charges de complot contre ces personnes, ces charges vont être démolies en Cour. Je suis sûr que Shakeel donnera sa version des faits comme témoin en Cour. En tant que père, je vais encourager Shakeel de faire une déposition à la police à cet effet. Il est de son devoir de témoigner en Cour ce que ce type lui a raconté…

* S’il n’y a pas eu complot, comme vous le dites, les journalistes de l’express ont-ils cependant fait preuve d’imprudence ou d’excès de zèle, ce qui les a rendu vulnérables ?

On a parlé de ce soi-disant complot, et j’ai soutenu que ni Nad Sivaramen ni Roshi Badhain n’ont commis quelque offense. Ce monsieur Husein Abdool Rahim a raconté son histoire à l’avocat Roshi Bhadain, qui a pris des notes sous la supervision de Me Hurhangee pour le besoin de l’affivadit.

Nad Sivaramen ou tout autre journaliste de l’express n’avaient pas le droit d’être présents à aucun moment durant cet exercice. En tant que journaliste, il aurait pu avoir attendu que ce monsieur jure son affidavit sans sa participation de quelque façon – ni devant le Court Officer… ni ailleurs. Après avoir juré son affidavit, c’était à ce monsieur Husein Abdool Rahim de décider s’il voulait lui remettre une copie de l’affidavit. Je n’y vois aucun inconvénient à ce que Me Roshi Bhadain ou Me Hurhangee veuillent partager avec les médias ce que rapporte l’affidavit en question, mais dire qu’il y a eu un complot pour faire porter un coup à M. Ravi Yerrigadoo, non… absolument pas.

Venons-en à M. Yerrigadoo. Quel droit avait-il en tant qu’Attorney General pour donner une lettre de sauf-conduit à ce monsieur qui fait face à des poursuites pour une affaire d’escroquerie ? Il facilite, parait-il, les démarches pour qu’il puisse récupérer son passeport, il facilite sa tâche aussi en lui donnant un « certificate of morality » pour ainsi dire de par la teneur de cette lettre pour que ce monsieur puisse toucher son argent à l’étranger. Est-ce digne d’un Attorney General ?

* Cela soulève des questions ?

D’un point de vue légal, je ne vois aucune offense légale, “but it is a serious breach of ethics and of his duties as Attorney General, he has arrogated to himself the duties of the police and of the DPP”. C’est une grave violation du code d’éthique. Il a commis une faute qui le disqualifie à vie d’occuper le poste d’Attorney General. Il peut redevenir politicien puisqu’il n’a pas commis, à mon avis, quelque offense, légalement parlant, mais il ne devrait pas occuper le poste d’Attorney General, car il a commis une offense morale, ce qui n’est pas digne de son bureau et de son statut.

* Est-ce que le règlement de comptes à distance entre deux groupes de presse dans le cadre de cette affaire vous interpelle ?

Nous savons tous qu’il y a une rude compétition entre Radio One et Radio Plus, chacun voulant se hisser à la première place dans le monde radiophonique à Maurice. C’est à la base de tout ce problème, et cela va en s’accentuant.

Il me semble que Radio Plus a vu là une occasion en or pour démontrer ce que l’express a fait… En passant, on me dit que Radio One n’appartient plus au Groupe La Sentinelle. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il paraît que ce sont des personnes proches du Gouvernement qui contrôleraient cette radio. Si tel est effectivement le cas, je comprends la position qu’adopte Radio One.

Mais il existe une perception aussi que Radio Plus se montrerait conciliant vis-à-vis du Gouvernement. Toute personne qui commence à critiquer un ministre sur les ondes de cette radio, on l’interrompt tout de suite… C’est ce que j’ai personnellement constaté à plusieurs reprises.

Par ailleurs, je trouve inouïe cette démarche de Radio Plus d’inviter Monsieur Hussein Rahim sur ses ondes pour qu’il dénonce l’express. Franchement, je n’ai jamais vu cela… cette guéguerre entre Radio Plus et l’express, entre des journalistes, alors que leur devoir, c’est d’informer le public.

Or, que voyons-nous ? Des radios qui sont en train de se convertir en cour de justice ! C’est une forme de « trial by the press » en instantané à la radio ! « You have tried Messrs Bhadain, Huranghee and other persons live on the radio! »

Des journalistes responsables auraient conseillé à Monsieur Rahim de faire une déposition à la police à l’effet qu’il a juré un affidavit dont le contenu est faux. Des gens d’expérience, comme Noorbux, auraient dû réfléchir sur les motivations de Monsieur Husein Abdool Rahim. Pourquoi veut-il se servir de la radio ? Pourquoi ne va-t-il pas faire une déposition à la police ?

C’est exactement ce que j’ai fait quand Monsieur Patrick Soobhany est venu me voir par rapport à l’affaire « bal kouler ». J’ai emmené mon client directement à l’ICAC, et non pas à la radio pour qu’il déballe sa version des faits. J’aurais bien pu dire à M. Noorbux que j’ai une information sensationnelle qui portera un coup à un ministre. Mais je ne l’ai pas fait parce que je respecte le code d’éthique de ma profession. La presse aussi, y compris Radio Plus, aurait dû respecter le code d’éthique de la presse.

Je vous ai dit précédemment que je blâme Nad Sivaramen et d’autres journalistes de l’express qui se sont associés avec Hussein Abdool Rahim pour préparer l’affidavit. Ils n’avaient pas le droit d’être présents lors de la rédaction de l’affidavit ni aux côtés de Monsieur Hussein Abdool Rahim quand ce dernier a juré l’affidavit. Ceci dit, je dois cependant ajouter qu’ils n’ont commis aucune offense parce que ce monsieur n’est pas crédible…

Nous avons là affaire à un autre Sheik Hossen. Nous avons connu cette supercherie dans le passé. Bérenger avait cru en cette personne, et je me souviens l’avoir mis en garde dans mon discours au Parlement de se méfier de Sheik Hossen. « Ne jurez pas sur la tête de votre enfant », lui avais-je dit, mais il l’a fait et on connaît la suite. C’est la même chose qui est en train de se produire aujourd’hui…

* Cette affaire donnera l’occasion à la police de démontrer qu’elle agit en toute indépendance du pouvoir politique. Mais, déjà, des critiques ont été émises dans la presse et sur les réseaux sociaux quant à la manière de procéder de la police – perquisition à 4 h 30 chez un journaliste de l’express, alors qu’au même moment celui-là même qui a admis avoir juré un faux affidavit pour impliquer l’ex Attorney General était toujours en liberté. Est-ce normal ?

J’ai entendu plusieurs fois certains chefs de la police dans le passé : « les ordres viennent d’en haut… on ne peut rien faire ». J’interprète cela comme des ordres venant de l’Hôtel du Gouvernement ou d’un membre du Gouvernement.

La police jouit de la protection constitutionnelle ; elle n’est pas censée recevoir des ordres de qui que ce soit, mais nous savons bien comment Shakeel a été arrêté, comment d’autres ont fait l’objet de poursuites rapidement sur la base de « false information » qu’auraient véhiculées ces personnes…

Toutefois, quand il s’agit de Soodhun ou de Rutna, ils semblent bénéficier d’un autre traitement. Rutna a été discourtois envers une femme en utilisant les termes « femel lisien » — ce qui est une injure dans un endroit public, donc une offense de « rogue and vagabond ». A-t-on entendu parler de poursuites contre ces personnes ? Rien autant que je sache.

C’est malheureux de le dire, mais c’est clair – et personne ne peut nier – que nous avons une justice à deux vitesses à Maurice. Quand vous êtes dans les bons carnets du Gouvernement, il n’y a pas de « case » contre vous…

Vous vous souvenez de ces mots vulgaires qu’avait lancés l’ancien Premier ministre à l’adresse de l’opposition ? Un ministre menace de tuer le leader de l’opposition, et l’autre vient insulter les femmes… « Where are we going in this country ? » Où sont les valeurs intrinsèques que nous avions chéries dans le temps ? Je ne les vois plus.

* Qu’est-ce qui empêche la police d’agir en toute indépendance selon vous ?

Vous savez, j’ai souvent entendu dire : « mo là pou encore deux ans… Ki mo pou alle amerde mo le corps… » – cela de certains chefs de la force policière et dans la fonction publique. Ils ne veulent pas se faire mal voir par le gouvernement du jour. D’autre part, vous avez sûrement constaté que les gens n’ont plus peur de la police. Voyez le nombre d’agressions des membres de la force policière et n’avez-vous pas vu comment on inflige des blessures aux policiers ?

L’exemple doit venir d’en haut, mais malheureusement ce n’est pas le bon exemple qui vient d’en haut ces jours-ci ! Nous vivons aujourd’hui dans un pays pourri, la corruption fait rage, on ne respecte plus les valeurs humaines… Regardez ce qui s’est passé à La Butte. Le Gouvernement a le droit de concrétiser le projet Metro Express… « by all means », mais de grâce agissez humainement. J’ai pris l’affaire de M. Rujubally sans réclamer un sou. Je l’ai fait pour qu’il puisse avoir du temps pour trouver une nouvelle demeure. Qu’on lui donne sa compensation et qu’il aille ailleurs. Mais il n’a pas encore eu sa compensation et il va habiter sous une tente avec sa famille d’après ce que j’ai entendu dire à la radio. Le comble, c’est que ce monsieur était un des partisans des Jugnauth en 2014…

* De là à dire que ce à quoi nous assistons présentement est « une dérive totalitaire qui a démarré depuis pas mal de temps », comme le soutient le porte-parole légal du PMSD, c’est exagéré, non ?

Non, ce n’est pas exagéré, ils ont tout à fait raison. Nous vivons dans un pays totalitaire parce que ceux-là mêmes qui sont numériquement forts au parlement se croient aussi propriétaires de Maurice. Ils pensent qu’ils peuvent donc faire comme bon leur semble.

Qu’ils nous parlent de leur bilan après presque trois années au pouvoir ! Piètre performance, je dois dire. Le pays est en panne, tous les secteurs clés du pays sont en panne, l’ordre et la paix ne règnent plus… voyez le nombre de vols, de viols, de hold-ups, et de délits liés au trafic de la drogue qui frappent les Mauriciens quotidiennement.

Malgré la commission d’enquête sur la drogue présidée par l’ancien chef juge Maurice Rault en 1986 et l’immense travail abattu, la situation n’a guère progressé. On parvient malgré tout à faire entrer de grandes quantités de drogue dans le pays, et nous savons qu’il y a eu, dans un certain nombre de cas, des complicités de la part de certains policiers…

* Quelle opinion faites-vous de la présente commission d’enquête ?

Monsieur Paul Lam Shang Leen et ses assesseurs font du bon travail, ce qui permet aussi aux Mauriciens de savoir ce qui ce passe vraiment dans le pays. Les gens qui veulent déposer devant la Commission ont la possibilité de le faire. Je suis très satisfait, mais je me demande ce que cela va donner après…

Nous avons eu dans le passé la Commission Rault, malgré cela rien ne s’est passé. On a amendé la ‘Commission of Inquiry Act’ pour obliger les gens qui cherchaient refuge dans leur droit au silence à parler. Mais cela n’a rien donné depuis. Le trafic de drogue a augmenté ; nous le savons tous.

* Que proposez-vous comme solution/s pour faire redémarrer le pays ?

Si le peuple mauricien savait voter, on aurait eu des gens compétents, honnêtes et responsables dans notre Parlement, mais ici on vote selon sa communauté, sa caste ou sa religion. Le communalisme et le castéisme sont en train de tuer notre pays.

Un jour, mon père avait dit ceci à un ancient dirigeant du PTr : « You know, this business of casteism and communalism will kill this country… Mauritius is going to die because of casteism and communalism ». C’était comme si il avait prévu ce que deviendra ce pays des décennies plus tard.

Savez-vous pourquoi le CAM a été créé ? “To ask for our share, because we feared minorities would not get their share. We all are Mauritians irrespective of our origins… can’t we stop thinking in terms of community?”

Je disais ceci au journal Le Mauricien quelque temps de cela : “Is there no competence other than Ramgoolam and Jugnauth in this country among other sections of the Hindu community? People who can really bring Mauritius up? Should we always vote for people according to their association with such and such group?”

Moi, Yusuf Mohamed, dont le père était le leader du Comité d’action musulman, je vous le dit : “Let’s get rid of the Best Loser System.” Si on veut se débarrasser du communalisme et du castéisme, allons faire de Maurice, avec ses 1.2 millions d’habitants, une seule circonscription électorale et laisser au peuple le choix de voter soixante candidats…

* En d’autres mots, vous voulez dire : Adoptons un régime présidentiel. C’est ça ?

Absolument. Laissez le peuple de Maurice choisir 60 élus et vous verrez la différence après. Il n’y aura ainsi plus de circonscription réservée pour telle ou telle communauté. Les électeurs ne voteront plus de façon communale ou caséiste ; ils vont privilégier la compétence et le mérite.

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